L’intelligence artificielle dans « Le Monde », de ses balbutiements à la révolution ChatGPT


Le 4 mars 1967, au détour d’une brève de la rubrique scientifique, placée entre un article sur les nouveaux postes de télévision, désormais en couleur, et la grille quotidienne des mots croisés dont la première définition était « Tristes réalités qui font obstacle à bien des rêves » (en neuf lettres, réponse : insomnies), Le Monde faisait une courte et prémonitoire incursion dans le XXIe siècle, annonçant « une journée d’information consacrée à “la médecine et l’intelligence artificielle” ». « Les réflexions que peut inspirer la place grandissante prise par les ordinateurs dans la vie médicale, les comparaisons entre la pensée humaine et l’intelligence artificielle, seront notamment étudiées au cours de ce colloque », était-il écrit.

Intelligence artificielle, abrégée aujourd’hui en IA. La notion avait été forgée au milieu des années 1950, dans la foulée des réflexions du mathématicien Alan Turing, qui se demandait si un ordinateur saurait un jour “penser”, ou s’il n’était capable que d’un “jeu d’imitation” (imitation game). » Elle débarquait subrepticement dans les colonnes du journal ce 4 mars 1967. Elle n’allait que se développer et se diffuser, suivant les progrès exponentiels des mémoires des ordinateurs et la multiplication des usages potentiels. Jusqu’à la déferlante éditoriale provoquée par ChatGPT (pour Generative Pre-trained Transformer : « transformateur génératif pré-entraîné »), un logiciel créé par l’entreprise OpenAI, en collaboration avec Microsoft. L’outil, pardon, l’« agent conversationnel », peut écrire des textes en réponse à une requête et, à en croire les fantasmes ambiants, faire du Victor Hugo sans Victor Hugo.

Des microprocesseurs dépassent le cerveau humain

Retour en 1967. On était un an avant la sortie de 2001, l’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick, avec cette réplique de l’ordinateur HAL 9000 : « I’m sorry, Dave. I’m afraid I can’t do that » (« Je suis désolé, Dave. J’ai bien peur de ne pas pouvoir faire ça »). Deux sentiments inspirés à un robot, le regret et la peur, en même temps qu’un acte de désobéissance. La question du film est aussi celle qui tenaille – jusqu’à preuve du contraire – les très humains journalistes du Monde et que l’on pourrait résumer ainsi : « Ordinateurs, avez-vous une âme ? »

Les rédacteurs du quotidien du soir se confrontent aussi à cette vertigineuse énigme : les ordinateurs prendront-ils un jour le pouvoir sur les êtres humains ? Le chroniqueur scientifique Nicolas Vicheney écrit, le 23 novembre 1968 : « Pour le moment les ordinateurs les plus puissants restent immensément stupides – ils ne savent toujours dire que oui et non, mais plusieurs milliards de fois par seconde… Aboutira-t-on, le jour où l’on comprendra son mécanisme, à copier le cerveau de l’homme pour créer une intelligence artificielle ? »

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